Osmolalité des liquides et concentration en Na+
Il est reconnu depuis longtemps que la soif est stimulée par des augmentations de la concentration extracellulaire d’osmolytes non perméables, comme le Na+, qui provoquent un mouvement osmotique de l’eau à partir des cellules du corps. Ainsi, les solutions hyperosmotiques de glucose et d’urée n’augmentent pas la consommation d’eau, mais les solutions hypertoniques de NaCl ou de sorbitol le font. Cette augmentation de l’osmolalité plasmatique effective (pOsm) stimule les osmorécepteurs cérébraux situés dans l’organe vasculaire de la lamina terminalis (OVLT), une structure du cerveau antérieur basal dépourvue de barrière hémato-encéphalique et qui peut donc répondre facilement aux modifications de la pOsm. En fait, des augmentations du pOsm de seulement 1 à 2 % stimulent la soif chez les animaux, et des augmentations supplémentaires provoquent des augmentations proportionnelles de la consommation d’eau. La soif est stimulée lorsque les projections de l’OVLT activent les neurones de l’aire préoptique médiane dans la lamina terminalis ventrale à la commissure antérieure, bien que le circuit neuronal subséquent qui médiatise la soif et le comportement de consommation n’ait pas été déterminé. D’autres projections de la TPO vers les noyaux paraventriculaire et supraoptique de l’hypothalamus stimulent la sécrétion de VP. La destruction chirurgicale de l’OVLT élimine à la fois la consommation d’eau et la sécrétion VP neurohypophysaire en réponse à l’augmentation du pOsm.
Compte tenu de cette disposition, l’osmorégulation a été initialement envisagée comme un système de rétroaction négative à boucle unique dans lequel la déshydratation augmente le pOsm et fournit ainsi un stimulus pour la soif, tandis que la prise d’eau sert à diminuer le pOsm pour revenir à la normale et provoque ainsi la satiété en supprimant le signal excitateur de la soif. Cependant, le système de contrôle de la soif osmorégulatrice ne peut pas être aussi simple dans son organisation car un délai important se produit entre le moment où l’eau est ingérée et le moment où elle apparaît dans la circulation (d’où elle peut affecter le pOsm et les osmorécepteurs cérébraux). Plus précisément, chez le chien comme chez l’homme, il faut 10 à 20 minutes pour que l’eau ingérée produise une diminution significative de la pOsm, alors que la soif et l’ingestion d’eau prennent fin beaucoup plus rapidement (tout comme la sécrétion de VP). Ainsi, un stimulus précoce doit se produire qui signale au cerveau l’anticipation d’une réhydratation ultérieure. Un tel effet ressemble aux réflexes d’anticipation que l’on trouve dans le contrôle de nombreuses fonctions autonomes (par exemple, la sécrétion d’insuline en réponse au goût de la nourriture avant sa digestion et son assimilation).
Cet élément d’anticipation dans le contrôle de la prise d’eau a été clarifié par une série d’investigations élégantes rapportées par Ramsay et ses collègues. Leurs recherches ont utilisé des chiens comme sujets expérimentaux, bien que des travaux ultérieurs aient étendu leurs résultats aux primates humains et non humains. En bref, on a observé que les chiens déshydratés buvaient rapidement de l’eau mais s’arrêtaient après quelques minutes seulement, bien avant que la dilution du plasma sanguin ne devienne évidente. Cette inhibition précoce de la soif (et de la sécrétion de VP) se produisait même lorsque les chiens étaient équipés d’une fistule gastrique, qui évacuait l’eau ingérée de leur estomac et empêchait ainsi toute possibilité de réhydratation. Les mêmes effets rapides se sont produits lorsque les chiens ont bu une solution hypertonique de NaCl (bien qu’en fin de compte, lorsque la solution saline a été absorbée et que le pOsm a été élevé, les chiens sont devenus encore plus assoiffés et ont sécrété plus de VP qu’auparavant, comme on pouvait s’y attendre). Ces observations soulignent l’importance d’un signal inhibiteur précoce dans le contrôle de la consommation d’eau et suggèrent sa base : une entrée neuronale au cerveau en provenance de l’oropharynx, associée à une déglutition rapide pendant l’acte de boire, qui permet aux chiens de mesurer leur consommation. Ce signal avait un effet inhibiteur rapide mais temporaire sur la soif et la sécrétion de VP. Lorsque l’eau ingérée était ensuite absorbée et que le pOsm était dilué pour revenir à des niveaux normaux, une cessation plus durable de la soif et de la sécrétion de VP était produite en raison de la réhydratation. Cet arrangement hypothétique est cohérent avec la constatation qu’une inhibition rapide de la soif et de la sécrétion de VP n’a pas été observée chez les chiens déshydratés lorsqu’un volume d’eau comparable à celui consommé a été intubé dans leur estomac, en contournant leur oropharynx.
Les rats utilisent également des signaux de rétroaction précoce provenant de la boisson, bien que par un mécanisme différent. Lorsque des rats ont été perfusés par voie intraveineuse avec une solution hypertonique de NaCl pour stimuler la sécrétion de VP, 5 min de prise d’eau ont provoqué une diminution rapide des niveaux plasmatiques de VP sans changement notable du pOsm. Ces effets n’étaient pas associés à l’acte de boire, car l’ingestion du même volume de solution saline isotonique n’avait aucun effet sur les taux plasmatiques de VP. Ainsi, les animaux semblaient réagir à la composition du liquide ingéré et non à son volume. En outre, des résultats antérieurs avaient indiqué que les rats assoiffés buvaient de plus grandes quantités d’eau lorsque le sphincter pylorique était ligaturé (empêchant ainsi la vidange gastrique) et que les charges d’eau gastrique chez les rats produisaient des diminutions rapides des niveaux de VP plasmatiques avant qu’une réduction substantielle du pOsm ne se produise. Ces observations suggèrent collectivement l’existence d’un récepteur osmotique ou Na+ viscéral qui détecte l’eau ingérée après que le fluide quitte l’estomac et avant qu’il n’entre dans la circulation générale.
Les fibres du nerf vague projettent des viscères abdominaux vers l’aire postrema et le noyau adjacent du tractus solitaire (AP/NTS) dans le tronc cérébral. En accord avec la possibilité que ces fibres servent de médiateur aux effets précoces de l’eau ingérée, une surconsommation considérable d’eau s’est produite chez des rats assoiffés lorsque ces fibres nerveuses sensorielles ont été détruites par injection systémique de la neurotoxine capsaïcine. Une surconsommation d’eau a également été observée lorsque les sites de projection ont été éliminés par des lésions de l’AP/NTS. Dans les deux cas, les animaux ont agi comme s’ils ne recevaient plus de message précoce indiquant que de l’eau avait été consommée, c’est-à-dire qu’ils ont continué à boire. Ce n’est que plus tard, lorsque l’eau ingérée a été absorbée et diluée dans le plasma circulant, que les osmorécepteurs de l’OVLT ont été affectés et que la soif a été réduite. Les récepteurs osmotiques ou Na+ viscéraux ont également été impliqués par les résultats selon lesquels la soif peut être stimulée par des charges gastriques de solution hypertonique de NaCl, avant que des augmentations systémiques de pOsm ne soient détectées. De même, la soif résultant d’une privation d’eau pendant la nuit est considérablement augmentée par une charge gastrique de solution saline hypertonique.
Les rats présentant des lésions de l’AP/NTS ont d’autres caractéristiques de perturbation de l’osmorégulation. En plus de boire des quantités excessives d’eau lorsqu’ils ont soif, ils ont également une sécrétion émoussée de VP en réponse à une solution saline hypertonique perfusée par voie intraveineuse et une excrétion urinaire altérée d’une charge de NaCl administrée. De plus, ils boivent une solution hypertonique de NaCl en quantités anormalement importantes, comme s’ils ne recevaient pas les signaux précoces de la solution déshydratante des récepteurs Na+ viscéraux. Ces résultats suggèrent un rôle important de l’AP/NTS dans l’osmorégulation chez les rats. Comme la PA n’a pas de barrière hémato-encéphalique, il est possible qu’elle détecte directement certaines caractéristiques pertinentes de la composition des fluides corporels en plus de recevoir des signaux des viscères. Les observations selon lesquelles les rats présentant des lésions de l’AP/NTS sécrètent normalement des VP en réponse à une solution hypertonique de mannitol mais pas en réponse à une solution saline équi-osmolaire fournissent des informations supplémentaires selon lesquelles cette zone du tronc cérébral joue un rôle dans la régulation du Na+ plutôt que dans l’osmorégulation.
En résumé, il est bien établi que les osmorécepteurs cérébraux médient la soif et la sécrétion de VP en réponse aux augmentations du pOsm. Cependant, d’autres facteurs sont également importants car la boisson et la sécrétion neurohypophysaire peuvent être influencées même lorsqu’aucun changement du pOsm circulant n’est évident. Par exemple, un « signal d’anticipation » provenant des récepteurs osmotiques ou Na+ viscéraux contribue de manière importante à ces réponses régulatrices chez les rats. Ces récepteurs se projettent vers l’AP/NTS, impliquant un rôle pour ces structures du tronc cérébral dans la régulation du Na+ qui est cohérent avec d’autres résultats dans lesquels l’AP/NTS a été détruit chirurgicalement. L’organisation des circuits neuronaux pertinents qui contrôlent la prise d’eau et la sécrétion VP neurohypophysaire reste à clarifier, tout comme la différence de leur fonctionnement en réponse à des charges de NaCl et à des charges osmotiques ne contenant pas de Na+, et leurs contributions distinctes au contrôle de l’appétit pour le NaCl, de la soif et de la sécrétion VP.