Les thèmes sont les idées fondamentales et souvent universelles explorées dans une œuvre littéraire.

La force de l’amour

Roméo et Juliette est l’histoire d’amour la plus célèbre de la tradition littéraire anglaise. L’amour est naturellement le thème dominant et le plus important de la pièce. La pièce se concentre sur l’amour romantique, plus précisément sur la passion intense qui jaillit au premier regard entre Roméo et Juliette. Dans Roméo et Juliette, l’amour est une force violente, extatique et irrésistible qui supplante toutes les autres valeurs, loyautés et émotions. Au cours de la pièce, les jeunes amants sont amenés à défier tout leur univers social : les familles ( » Renie ton père et refuse ton nom « , demande Juliette,  » Ou si tu ne veux pas, ne sois que juré mon amour, / Et je ne serai plus un Capulet « ) ; les amis (Roméo abandonne Mercutio et Benvolio après le festin pour se rendre dans le jardin de Juliette) ; et le souverain (Roméo revient à Vérone pour Juliette après avoir été exilé par le prince sous peine de mort en 2.1.76-78).

L’amour est le thème dominant de la pièce, mais le lecteur doit toujours se rappeler que Shakespeare n’est pas intéressé à dépeindre une version embellie et délicate de cette émotion, le genre que les mauvais poètes écrivent, et dont Roméo lit la mauvaise poésie en se languissant de Rosaline. Dans Roméo et Juliette, l’amour est une émotion brutale et puissante qui saisit les individus et les catapulte contre leur monde et, parfois, contre eux-mêmes. La nature puissante de l’amour est perceptible dans la manière dont il est décrit ou, plus précisément, dans la manière dont ses descriptions ne parviennent pas à en saisir la totalité. Parfois, l’amour est décrit en termes de religion, comme dans les quatorze lignes de la première rencontre entre Roméo et Juliette. À d’autres moments, il est décrit comme une sorte de magie :  » Alike bewitchèd by the charm of looks  » (2.Prologue.6). C’est peut-être en refusant de décrire son amour pour Roméo que Juliette le décrit le mieux : « Mais mon véritable amour s’est développé jusqu’à un tel excès / Je ne puis résumer la moitié de ma fortune » (3.1.33-34). L’amour, en d’autres termes, résiste à toute métaphore unique car il est trop puissant pour être si facilement contenu ou compris. Roméo et Juliette ne fait pas de déclaration morale spécifique sur les relations entre l’amour et la société, la religion et la famille ; il dépeint plutôt le chaos et la passion d’être amoureux, en combinant des images d’amour, de violence, de mort, de religion et de famille dans une ruée impressionniste menant à la conclusion tragique de la pièce.

L’amour comme cause de la violence

Les thèmes de la mort et de la violence imprègnent Roméo et Juliette, et ils sont toujours liés à la passion, que cette passion soit l’amour ou la haine. Le lien entre la haine, la violence et la mort semble évident. Mais le lien entre l’amour et la violence nécessite un examen plus approfondi. L’amour, dans Roméo et Juliette, est une grande passion, et en tant que telle, elle est aveuglante ; elle peut submerger une personne aussi puissamment et complètement que la haine. L’amour passionnel entre Roméo et Juliette est lié à la mort dès le début : Tybalt remarque que Roméo s’est incrusté dans la fête et décide de le tuer au moment même où Roméo aperçoit Juliette et tombe instantanément amoureux d’elle.

À partir de ce moment, l’amour semble pousser les amants à se rapprocher de l’amour et de la violence, et non à s’en éloigner. Roméo et Juliette sont en proie à des pensées de suicide, et à une volonté de le vivre : à l’acte 3, scène 3, Roméo brandit un couteau dans la cellule du frère Lawrence et menace de se tuer après avoir été banni de Vérone et de son amour. Trois scènes plus tard, Juliette tire également un couteau pour s’enlever la vie en présence du frère Lawrence. Après que Capulet a décidé que Juliette épousera Paris, Juliette dit :  » Si tout le reste échoue, j’ai le pouvoir de mourir  » (3.5.242). Enfin, chacun imagine que l’autre a l’air mort le matin après leur première, et unique, expérience sexuelle ( » Methinks I see thee « , dit Juliette,  » … comme un mort au fond d’un tombeau  » (3.5.55-56).

Ce thème se poursuit jusqu’à sa conclusion inévitable : le double suicide. Ce choix tragique est l’expression la plus haute, la plus puissante de l’amour que Roméo et Juliette peuvent faire. Ce n’est que par la mort qu’ils peuvent préserver leur amour, et leur amour est si profond qu’ils sont prêts à mettre fin à leur vie pour le défendre. Dans la pièce, l’amour apparaît comme une chose amorale, menant autant à la destruction qu’au bonheur. Mais dans sa passion extrême, l’amour que Roméo et Juliette éprouvent apparaît aussi si exquisément beau que peu voudraient, ou pourraient, résister à son pouvoir.

L’individu contre la société

Une grande partie de Roméo et Juliette implique les luttes des amants contre les institutions publiques et sociales qui s’opposent explicitement ou implicitement à l’existence de leur amour. Ces structures vont du concret à l’abstrait : les familles et le placement du pouvoir familial chez le père, la loi et le désir d’ordre public, la religion et l’importance sociale accordée à l’honneur masculin. Ces institutions entrent souvent en conflit les unes avec les autres. L’importance de l’honneur, par exemple, entraîne régulièrement des bagarres qui troublent la paix publique. Bien qu’elles ne fonctionnent pas toujours de concert, chacune de ces institutions sociétales constitue d’une certaine manière un obstacle pour Roméo et Juliette. L’inimitié entre leurs familles, associée à l’importance accordée à la loyauté et à l’honneur envers la parenté, se combinent pour créer un conflit profond pour Roméo et Juliette, qui doivent se rebeller contre leurs héritages.

En outre, la structure de pouvoir patriarcale inhérente aux familles de la Renaissance, dans laquelle le père contrôle l’action de tous les autres membres de la famille, en particulier les femmes, place Juliette dans une position extrêmement vulnérable. Son cœur, dans l’esprit de sa famille, n’est pas à donner. La loi et l’accent mis sur la civilité sociale exigent des conditions de conduite auxquelles la passion aveugle de l’amour ne peut se conformer. De même, la religion exige des priorités que Roméo et Juliette ne peuvent respecter en raison de l’intensité de leur amour. Bien que, dans la plupart des cas, les amoureux respectent les traditions du christianisme (ils attendent de se marier avant de consommer leur amour), leur amour est si puissant qu’ils commencent à se considérer en termes blasphématoires. Par exemple, Juliette appelle Roméo « le dieu de mon idolâtrie », élevant Roméo au rang de Dieu (2.1.156). L’acte final de suicide du couple est tout aussi peu chrétien. Le maintien de l’honneur masculin oblige Roméo à commettre des actions qu’il aurait préféré éviter. Mais l’accent social mis sur l’honneur masculin est si profond que Roméo ne peut pas simplement les ignorer.

Il est possible de voir Roméo et Juliette comme une bataille entre les responsabilités et les actions exigées par les institutions sociales et celles exigées par les désirs privés de l’individu. L’appréciation par Roméo et Juliette de la nuit, avec son obscurité et son intimité, et la renonciation à leurs noms, avec la perte d’obligations qui en découle, prennent tout leur sens dans le contexte d’individus qui souhaitent échapper au monde public. Mais les amants ne peuvent empêcher la nuit de devenir le jour. Et Roméo ne peut cesser d’être un Montaigu simplement parce qu’il le veut ; le reste du monde ne le laissera pas faire. Les suicides des amants peuvent être compris comme l’ultime nuit, l’ultime intimité.

L’inéluctabilité du destin

Dans sa première adresse au public, le Chœur déclare que Roméo et Juliette sont « croisés par les étoiles » – c’est-à-dire que le destin (un pouvoir souvent dévolu aux mouvements des étoiles) les contrôle (Prologue.6). Ce sentiment de fatalité est omniprésent dans la pièce, et pas seulement pour le public. Les personnages en sont également très conscients : Roméo et Juliette voient constamment des présages. Lorsque Roméo croit que Juliette est morte, il s’écrie :  » Alors je vous défie, étoiles « , complétant ainsi l’idée que l’amour entre Roméo et Juliette s’oppose aux décrets du destin (5.1.24). Bien sûr, le défi de Roméo fait lui-même le jeu du destin, et sa détermination à passer l’éternité avec Juliette entraîne leur mort.

Le mécanisme du destin fonctionne dans tous les événements entourant les amants : la querelle entre leurs familles (il convient de noter que cette haine n’est jamais expliquée ; le lecteur doit plutôt l’accepter comme un aspect indéniable du monde de la pièce) ; l’horrible série d’accidents qui ruinent les plans apparemment bien intentionnés du frère Lawrence à la fin de la pièce ; et le moment tragique du suicide de Roméo et du réveil de Juliette. Ces événements ne sont pas de simples coïncidences, mais plutôt des manifestations du destin qui contribuent à provoquer l’issue inévitable de la mort des jeunes amants.

Le concept de destin décrit ci-dessus est l’interprétation la plus communément acceptée. Il existe d’autres lectures possibles du destin dans la pièce : comme une force déterminée par les puissantes institutions sociales qui influencent les choix de Roméo et Juliette, ainsi que le destin comme une force qui émerge des personnalités mêmes de Roméo et Juliette.

L’amour

Du fait que Roméo et Juliette représente l’une des histoires d’amour les plus célèbres et les plus durables du monde, il semble évident que la pièce devrait mettre en lumière le thème de l’amour. Cependant, la pièce a tendance à se concentrer davantage sur les obstacles qui entravent l’amour que sur l’amour lui-même. De toute évidence, les familles Capulet et Montaigu représentent le plus grand obstacle pour les amoureux. Mais les amants sont aussi leurs propres obstacles, dans le sens où ils ont des conceptions divergentes de l’amour. Roméo, par exemple, commence la pièce en parlant de l’amour avec des clichés usés qui font frémir ses amis. Bien que le langage qu’il utilise avec Juliette témoigne d’un verset plus mature et plus original, il conserve une conception fondamentalement abstraite de l’amour. Juliette, en revanche, a tendance à rester plus fermement ancrée dans les questions pratiques liées à l’amour, comme le mariage et le sexe. Ce contraste entre les amants apparaît clairement dans la célèbre scène du balcon. Alors que Roméo parle de Juliette de manière poétique, en utilisant une métaphore étendue qui la compare au soleil, Juliette se plaint des contraintes sociales qui empêchent leur mariage : « Ô Roméo, Roméo ! Pourquoi es-tu Roméo ? / Renie ton père et refuse ton nom » (II.ii.33-34).

Un autre obstacle dans Roméo et Juliette est le temps – ou, plus précisément, le timing. Tout ce qui est lié à l’amour dans cette pièce va trop vite. Le thème de l’amour accéléré apparaît pour la première fois au début de la pièce, à propos de la question de savoir si Juliette est assez âgée pour se marier. Alors que Lady Capulet soutient que Juliette est d’un « bel âge » et donc éligible au mariage, Lord Capulet affirme qu’il est trop tôt pour qu’elle se marie. Lorsque Lord Capulet change d’avis plus tard dans la pièce, il accélère le calendrier du mariage de Juliette avec Paris. Obligée de réagir rapidement, Juliette simule sa propre mort. Tout ce qui concerne la relation entre Roméo et Juliette est également accéléré. Non seulement ils ont le coup de foudre, mais ils se marient le lendemain.

La précipitation des amants peut soulever des questions sur la légitimité de leur affection mutuelle. S’aiment-ils vraiment, ou se sont-ils condamnés par simple désir sexuel ? Le thème de l’amour accéléré revient à la fin de la pièce, lorsque Roméo arrive sur la tombe de Juliette, croyant arriver trop tard. En fait, il arrive trop tôt, juste avant que Juliette ne se réveille. Son mauvais timing entraîne leur mort à tous les deux.

Sexe

Les thèmes de l’amour et du sexe sont étroitement liés dans Roméo et Juliette, bien que la nature précise de leur relation reste contestée tout au long de la pièce. Par exemple, au premier acte, Roméo parle de son amour frustré pour Rosaline en termes poétiques, comme si l’amour était avant tout une abstraction. Pourtant, il laisse également entendre que les choses n’ont pas fonctionné avec Rosaline parce qu’elle a préféré rester vierge:

Elle ne sera pas frappée
De la flèche de Cupidon. Elle a l’esprit de Dian,
Et, dans la forte preuve de chasteté bien armée,
De l’arc faible et puéril de l’amour elle vit désarmée. (I.i.202-5)

Mercutio reprend ce fil conducteur à l’Acte II, lorsqu’il insiste sur le fait que Roméo a confondu son amour pour Juliette avec un simple désir sexuel :  » cet amour radotant est comme un grand naturel qui court / se prélasse de haut en bas pour cacher sa babiole dans un trou  » (II.iv.84-85). Les mots de Mercutio suggèrent une comparaison entre Roméo et soit un bouffon de la cour cherchant un endroit pour cacher son bâton, soit une personne mentalement déficiente (c’est-à-dire un  » naturel « ) cherchant à cacher un bibelot. Cependant, l’utilisation par Mercutio des expressions  » lolling up and down  » (se prélasser de haut en bas) et  » hide his bauble in a hole  » (cacher sa babiole dans un trou) implique également une forte imagerie sexuelle ( » bauble  » et  » hole  » sont des mots d’argot pour désigner respectivement le pénis et le vagin). Les mots de Mercutio suggèrent donc une troisième comparaison entre Roméo et un idiot tâtonnant maladroitement à la recherche d’une femme pour avoir des relations sexuelles. Alors que Mercutio associe cyniquement l’amour et le sexe, Juliette adopte une position plus sérieuse et pieuse. Selon Mercutio, l’amour n’existe finalement pas, puisqu’il est réductible au désir sexuel.

Juliette, en revanche, implique que les concepts sont distincts et qu’ils existent dans une relation hiérarchique, l’amour se situant au-dessus du sexe. Ce point de vue s’accorde avec la doctrine catholique, qui privilégie l’union spirituelle du mariage, mais indique également que cette union doit être consommée légalement par des rapports sexuels. Le discours que Juliette prononce à l’acte III, scène ii, démontre joliment sa vision de la relation adéquate entre l’amour et le sexe :

Oh, j’ai acheté la demeure d’un amour
Mais ne l’ai pas possédée, et, bien que je sois vendue,
N’en ai pas encore joui. (III.ii.26-28)

Ici, les notions d’achat et de possession désignent respectivement l’amour/mariage et le sexe. Par le mariage, elle a  » acheté  » l’amour de Roméo (et de même, elle lui a  » vendu  » le sien), mais le moment de la possession mutuelle n’a pas encore eu lieu. Maintenant qu’ils sont mariés, cependant, Juliette a clairement envie de  » jouir  » de la consommation.  » Donne-moi mon Roméo « , dit-elle :  » Et quand je mourrai, / Prends-le et découpe-le en petites étoiles  » (III.ii.21-22). « Mourir  » était un mot d’argot élisabéthain signifiant orgasme, et l’image de Roméo  » découpé… . en petites étoiles » fait subtilement référence à l’extase sexuelle que Juliette anticipe.

Violence

En raison de la querelle permanente entre les Capulet et les Montaigu, la violence imprègne le monde de Roméo et Juliette. Shakespeare démontre à quel point la violence est intrinsèque à l’environnement de la pièce dès la première scène. Sampson et Gregory ouvrent la pièce en plaisantant sur le fait de perpétrer des actes violents contre les membres de la famille Montaigu. Et lorsque le serviteur de Lord Montague, Abram, apparaît, leur première réaction est de se préparer à se battre. Gregory dit à Sampson : « Sors ton outil ! » (I.i.29), et Sampson s’exécute immédiatement.

Les tensions entre les jeunes gens de Vérone sont manifestement courtes, comme le démontre encore une fois Tybalt qui repère Roméo au bal des Capulet et se gâte pour un combat. Lord Capulet réussit à calmer temporairement Tybalt, mais la fureur de ce dernier continue à couver jusqu’au début de l’acte III, lorsqu’il tente de provoquer un duel avec Roméo, blesse mortellement Mercutio et finit par être tué par la main de Roméo. Bien que tragique, cette tournure des événements semble également inévitable. Compte tenu de la façon dont la querelle entre les deux familles attise continuellement les flammes de la haine et entretient ainsi une rage peu ardente, de telles flambées de violence semblent inéluctables.

La violence dans la pièce a une relation particulièrement significative avec le sexe. Cela est vrai dans un sens général, dans la façon dont la querelle jette une ombre de violence sur la romance de Roméo et Juliette. Mais cela se retrouve également dans des exemples plus localisés. Sampson prépare le terrain pour ce lien dans la scène d’ouverture de la pièce, lorsqu’il proclame son désir d’attaquer les hommes Montaigu et d’agresser sexuellement les femmes Montaigu : « Je vais / pousser les hommes de Montaigu du mur et pousser / ses servantes contre le mur » (I.i.15-17). Le sexe et la violence sont également jumelés dans les événements qui suivent le mariage de Roméo et Juliette. Ces événements encadrent l’acte III, qui s’ouvre sur la scène où Roméo finit par tuer Tybalt, et se termine par la scène où Roméo passe la nuit avec Juliette, consommant peut-être leur mariage. Même le langage du sexe dans la pièce évoque des images violentes. Lorsqu’à la fin de l’acte III, Roméo déclare :  » Qu’on me mette à mort  » (III.v.17), il fait référence à la menace réelle d’être mis à mort par les Capulet s’il est trouvé dans la chambre de Juliette, mais il fait aussi un jeu de mots sexuel, puisque « mort » est de l’argot pour l’orgasme.

Jeunesse

Roméo et Juliette sont tous deux très jeunes, et Shakespeare utilise les deux amants pour mettre en lumière le thème de la jeunesse de plusieurs façons. Roméo, par exemple, est étroitement lié aux jeunes hommes avec lesquels il erre dans les rues de Vérone. Ces jeunes hommes sont colériques et prompts à la violence, et leurs rivalités avec des groupes de jeunes hommes opposés indiquent un phénomène qui n’est pas sans rappeler la culture des gangs modernes (même s’il faut se rappeler que Roméo et ses amis sont aussi l’élite privilégiée de la ville).

En plus de cette association avec des gangs de jeunes hommes, Shakespeare dépeint aussi Roméo comme quelque peu immature. Le discours de Roméo sur Rosaline dans la première scène de la pièce est plein de phrases clichées tirées de la poésie amoureuse, et Benvolio et Mercutio se moquent tour à tour de lui pour cela. Ils se moquent également de Roméo qui s’accroche à une seule femme. Benvolio, en particulier, laisse entendre que le sérieux de Roméo l’empêche de faire son âge. Il est encore jeune, il devrait donc prendre son temps et explorer les relations avec d’autres femmes : « Compare ton visage avec celles que je vais te montrer, / Et je te ferai croire que ton cygne est un corbeau » (I.ii.87-88).

Si nous n’apprenons jamais l’âge précis de Roméo, nous savons que Juliette a treize ans. Son âge est évoqué au début de la pièce, lors de conversations sur le fait qu’elle est ou non trop jeune pour se marier. La mère de Juliette insiste sur le fait qu’elle a atteint « un bel âge » (I.iii.11), mais son père la décrit comme « encore étrangère au monde » (I.ii.8) et donc pas encore prête à se marier. Bien que Juliette ne veuille pas épouser Paris, elle se croit certainement assez âgée pour se marier. En fait, elle aspire au mariage et à l’expérience sexuelle, et elle utilise souvent un langage explicitement érotique qui indique une maturité au-delà de ses années réelles.

Pourtant, malgré cette apparente maturité, Juliette reconnaît aussi tacitement sa propre jeunesse. Lorsqu’elle attend avec impatience sa nuit de noces, par exemple, elle se compare à  » un enfant impatient  » (III.ii.30), rappelant au public qu’en fait, c’est ce qu’elle est. De telles reconnaissances de la jeunesse des amants servent finalement à amplifier la tragédie de leur mort prématurée. En effet, l’un des aspects les plus tristes de la pièce est que les amants meurent si jeunes, coupant leur vie (et leur relation) si tragiquement court.

Destin

Le thème de l’amour malheureux encadre l’histoire de Roméo et Juliette dès le début. Au cours du Prologue, avant que la pièce ne commence officiellement, le Chœur fait plusieurs allusions au destin, dont la célèbre référence à Roméo et Juliette comme à une « paire d’amants maudits par les étoiles ». Shakespeare a inventé le terme « star-crossed », qui signifie « non favorisé par les étoiles » ou « malchanceux ». Bien que le terme puisse sembler essentiellement métaphorique aujourd’hui, la science de l’astrologie occupait une place privilégiée dans la société de la Renaissance. Ainsi, l’idée que le destin d’une personne était inscrit dans les étoiles avait une signification plus immédiate et plus littérale qu’aujourd’hui. Dans le cas de Roméo et Juliette, donc, leurs destins sont cosmiquement mal alignés.

Plus loin dans le Prologue, le Chorus réitère l’idée de destin en qualifiant l’amour de Roméo et Juliette de  » marqué par la mort « , ce qui indique une fois de plus que, dès le début, leur désir l’un pour l’autre porte un signe ou un présage de mort inévitable. L’utilisation par Shakespeare du mot « marqué » suggère également une inscription physique, faisant allusion à l’idée que leur destin a été pré-écrit. Il peut sembler contre-intuitif pour Shakespeare d’ouvrir sa pièce en gâchant sa fin, mais ce choix sur la façon de raconter l’histoire permet à Shakespeare d’incorporer le thème du destin prédéterminé dans la structure même de la pièce. Le fait d’unir le thème du destin à la structure de la pièce de cette façon introduit un sens de l’ironie dramatique, de sorte que le public aura plus d’informations sur les événements en cours que les personnages. Voir les personnages lutter contre une force invisible et imbattable telle que le destin renforce le sentiment de tension tout au long de la pièce.

Cette lutte amplifie également le sentiment de tragédie à la conclusion de la pièce. Par exemple, lorsque Roméo s’écrie : « Je vous défie, étoiles ! » (V.i.), le public sait que sa résistance entêtée n’est pas à la hauteur du destin, et la reconnaissance de cette impuissance ne fait que rendre l’agonie de Roméo encore plus douloureuse. En fin de compte, la mention du destin de Roméo et Juliette au début de la pièce ne gâche pas la fin. Au contraire, elle enferme le public dans un sentiment d’anticipation tendue de la tragédie inéluctable.

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