Le jour J

Lundi 5 juin 1944 : près de Southampton, en Angleterre, les hommes de la 3e division d’infanterie canadienne et de la 2e brigade blindée canadienne ont déjà embarqué sur les navires. LCA élancés des bossoirs, les navires appareillent à l’aube, suivis par les grandes péniches de débarquement pour l’infanterie et les chars. Ils ont dépassé Portsmouth vers 9h00. En chemin, les officiers subalternes puis les troupes ont été briefés. Ils ont brisé les sceaux et sorti les cartes où les cibles réelles étaient indiquées. Ce n’était pas un exercice…

Unités de l’armée canadienne lors du débarquement en Normandie

La Manche était agitée. Des vagues, de quelque deux mètres de haut, rendaient la navigation difficile, même à vitesse réduite. Les navires et les péniches de débarquement étaient ballottés et beaucoup avaient le mal de mer. Devant la flotte, les dragueurs de mines ont dégagé une route à travers la zone minée protégeant la côte. La 31e flottille canadienne de dragueurs de mines, ainsi que d’autres navires canadiens incorporés aux flottilles britanniques ont participé à l’opération, dégageant dix voies marquées par des bouées lumineuses.

À la tombée de la nuit, tout se déroulait comme prévu. Au loin, on entendait les bombardements ; à 23 h 31, le Bomber Command lança un assaut contre les batteries côtières de la zone de débarquement. Les bombes tombent jusqu’à 5 h 15 ; en tout, 1 136 sorties, 5 268 tonnes larguées. Le 6e groupe de la Royal Canadian Air Force participe à l’opération, visant les batteries de Merville, Franceville et Houlgate.

Pendant ce temps, les résistants français avertis par les messages codés de la BBC entreprennent plus de mille actions de sabotage en une seule nuit. A minuit, la 6e division aéroportée britannique, qui comprend le 1er bataillon de parachutistes canadiens, est larguée au nord de Caen pour protéger le flanc est de la zone de débarquement. Du côté ouest, les parachutistes américains des 82e et 101e Airborne sont largués ; leur mission consiste à prendre le contrôle de la zone située à l’intérieur des terres à partir d’Utah Beach.

La compagnie « C » avait reçu pour mission de dégager la garnison ennemie de Varaville. Compte tenu de la taille de la force représentée par la compagnie ‘C’, l’entreprise était formidable. Au château de Varaville, un canon antichar de 75 mm et des fortifications, comprenant des bunkers et des tranchées, avaient été établis pour contrôler l’intersection de la route. Cette dernière était occupée par une force beaucoup plus importante que prévu…
– John A. Willes, Out of the Clouds

Un LCA vient d’être lancé du NCSM Prince Henry transportant des troupes vers les plages de Normandie.
Photo de Dennis Sullivan. Ministère de la Défense nationale / Archives nationales du Canada, PA-132790.

A l’aube, le temps était toujours mauvais ; un vent de nord-ouest soufflait à 15 nœuds. Les eaux de la Manche étaient agitées avec des vagues de plus d’un mètre. Et les nuages s’accumulaient. À 5 h 30, les destroyers ont commencé à pilonner les positions de défense côtière. Alors que des milliers de moteurs rugissent et que des bombes explosent dans les airs, les LCA sont lancés et les soldats montent à bord. Dans quelques minutes, 130 000 hommes allaient débarquer sur le sol français pour chasser les envahisseurs nazis.

Objectifs

L’opération Overlord n’était qu’une étape d’un plan stratégique global visant à la défaite complète de l’Allemagne nazie. Le débarquement en Normandie a été conçu pour établir une tête de pont à partir de laquelle deux armées, la première armée américaine sur le flanc ouest et la deuxième armée britannique à l’est, pourraient être approvisionnées par voie maritime. Une fois la tête de pont fermement établie, les armées devaient poursuivre leur route pour libérer la France et les pays voisins. L’Allemagne, attaquée sur trois fronts distincts, en Europe du Nord-Ouest, en Russie et en Méditerranée, serait bientôt épuisée et vaincue.

Le 6 juin 1944, la 3e division d’infanterie canadienne et la 2e brigade blindée sont chargées d’établir une tête de pont sur la plage portant le nom de code « Juno ». Il s’agit d’un tronçon de plage de huit kilomètres de long bordant Saint-Aubin, Bernières, Courseulles-sur-Mer et Graye-sur-Mer. Les troupes d’assaut devaient ensuite se diriger vers l’aérodrome de Carpiquet, à 18 kilomètres à l’intérieur des terres. La 3e division d’infanterie, commandée par le major-général R.F.L. Keller, est sous le commandement de la deuxième armée britannique. Elle est flanquée à gauche de la 3e division d’infanterie britannique qui doit débarquer sur la plage de Sword (Lion-sur-Mer, Langrune-sur-Mer). A droite, la 50e division britannique avait pour objectif « Gold Beach » (La Rivière, Le Hamel, et Arromanches).

D-Day, 6 juin 1944

A bord de leurs péniches de débarquement d’assaut, les hommes du Royal Winnipeg Rifles se dirigent vers leur secteur de Juno Beach, le 6 juin 1944.
Photo de Dennis Sullivan. Ministère de la Défense nationale / Archives nationales du Canada, PA-132651.

Avant que l’infanterie ne mette réellement le pied sur la plage, toute l’artillerie a lancé un barrage de saturation contre les défenses ennemies. Les destroyers pilonnent les plages et les grandes péniches de débarquement s’approchent en tirant sur leurs canons de 4,7 pouces. Les chars de débarquement tirent des roquettes.

Les quatre régiments d’artillerie de campagne, en tout 96 canons de 105 mm, embarqués sur 24 LCT, avancent simultanément. Depuis son embarcation, le 12e régiment de campagne ouvre le feu contre une position fortifiée à Courseulles. À 0655, le 13e Régiment de campagne a attaqué une autre position à l’ouest de la falaise. À 7 h 44, le 14e régiment a tiré sur la position fortifiée de Bernières ; et à 7 h 39, le 19e régiment a attaqué un poste similaire à Saint-Aubin. Pendant une demi-heure, ils ont tiré au-dessus des têtes de l’infanterie et au-dessus des LCA qui se trouvaient sur la rive.

Alors que nous nous éloignions du navire-mère et que nous nous rapprochions de la rive, nous avons eu un choc en réalisant que la flotte d’assaut juste derrière nous avait complètement disparu de la vue. Soudain, il n’y avait plus que nous et une grande partie de l’océan (ou de la Manche, si vous préférez). Tout ce qui restait en vue était notre propre flotte de dix embarcations d’assaut, se déplaçant de front dans le silence du petit matin en une ligne qui s’étendait progressivement face au rivage, les bateaux de la compagnie A à droite et ceux de la compagnie B à gauche.
La lumière du jour. Nous ne nous étions jamais sentis aussi seuls de notre vie.
– Charles Cromwell Martin, Battle Diary, 1994, p. 4

Les chars du 1st Hussars et les hommes de la 7th Infantry Brigade débarquent sur une plage bondée à Courseulles-sur-Mer, le 6 juin 1944.
Photo de Ken Bell. Ministère de la Défense nationale / Archives nationales du Canada, PA-128791.

À l’ouest, les premières troupes d’assaut de la 7e brigade d’infanterie débarquent peu après 8 h près de Courseulles-sur-mer. Un peu plus à l’est, dans le secteur de la 8e brigade, le North Shore Regiment pose le pied sur la plage de Saint-Aubin à 8 h 10 et le Queen’s Own Rifles commence à marcher sur Bernières à 8 h 12. Alors qu’ils courent sous le feu nourri des mitrailleuses ennemies, les hommes oublient rapidement leurs nausées dues aux eaux agitées et au roulis des navires. Mais le mauvais temps a encore un impact sur les opérations : le débarquement des chars est entravé et les LCT doivent se rapprocher au risque de heurter une mine immergée. En posant le pied sur la plage, les hommes de la compagnie « B » du Queen’s Own Rifles doivent courir sur 200 mètres contre une position défensive allemande épargnée par le tir de saturation effectué plus tôt. Ils ont surtout souffert de l’arrivée tardive des chars DD, des chars Sherman équipés de dispositifs flottants que la hauteur des vagues avait rendus inutiles.

Sur la piste d’élan, Doug Reed et moi étions debout avec impatience, guettant le rivage. Nous avons commencé à chanter « The Bells Are Ringing for Me and My Gal » et avons continué jusqu’à ce que nous apercevions le clocher de l’église de notre lieu d’accostage. J’ai dit : « Doug, voilà l’église, je pensais qu’elle n’était pas censée être là. »
Elle a subi un trou d’obus dans le clocher. Nous avons rapidement vu le grand hôtel qui est un tableau célèbre maintenant.
Puis nous avons vu les cinq casemates montées sur le sommet de la digue. C’était notre premier objectif. A environ cinq cents mètres, ils nous ont eu dans le viseur de leurs petites armes et ont commencé à tirer. Nous n’avions jamais été sous un vrai feu et nous l’avons réalisé lorsque les balles ont frappé notre embarcation d’assaut. J’ai dit à Doug, comme si nous devions être surpris, « ils nous tirent dessus » et nous nous sommes baissés sous le blindage.
– Doug Hester, Queen’s Own Rifles, tiré de Canadians, A Battalion at War, p. 3

Aidé par un sergent, des civils français marchant près d’un char à Bernières.
Photo de Frank L. Dubervill. Ministère de la Défense nationale / Archives nationales du Canada, PA-132725.

Profitant de la surprise, les premières troupes d’assaut font taire les canons de 75 et 88 mm et assurent l’accès aux plages. Vers 0830, elles sont suivies par les bataillons de réserve. A 0910 et 0925, les 19e et 14e régiments de campagne débarquent et positionnent leurs canons automoteurs pour le combat. Le nombre toujours croissant de troupes et de véhicules sur la plage rendait la circulation plus difficile. Pour résoudre le problème, le personnel du Corps Royal du Génie a ouvert des brèches dans la digue protégeant la plage.

Notre première tentative de déploiement de l’unité normale de quatre canons dans le rôle de campagne a eu lieu immédiatement après le débarquement ; il faut rappeler que nos SP transportaient des charges supplémentaires et inhabituelles qui les rendaient temporairement maladroits dans leurs mouvements ainsi que très vulnérables au feu ennemi.
– Wesley M. Alkenbrack, « Premier déploiement du 14e régiment de campagne »

Alors que les combats faisaient toujours rage, certains civils français quittèrent leurs maisons. Ils sont étonnés de rencontrer des soldats qui parlent leur langue. Répondant à un villageois curieux, un soldat du Régiment de la Chaudière lui dit « P’tet ben que oui, p’tet ben que non » (« Peut-être oui, peut-être non ») avec un accent si proche de celui du français tel qu’il est parlé en Normandie que le civil ne pouvait croire qu’il avait affaire à un Canadien.

Deux officiers allemands dans un groupe de prisonniers qui se sont rendus aux troupes canadiennes à Bernières-sur-Mer, le 6 juin 1944.
Photographie de Ken Bell. Ministère de la Défense nationale / Archives nationales du Canada, PA-114493.

Les combats se déplaçant vers l’intérieur des terres, la 3e division déploie ses réserves : la 9e brigade d’infanterie, soutenue par le 27e régiment blindé. Les premiers bataillons arrivent à Bernières à 11 h 40, mais l’encombrement de la plage les ralentit dans leur progression vers le point de rencontre près de Bény. Heureusement, il n’y avait pas d’avions ou de navires ennemis pour attaquer la concentration massive d’hommes et de matériel qui se déplaçait lentement vers l’intérieur des terres. Alors que le jour J tirait à sa fin, les Canadiens avaient réussi à avancer assez profondément vers Creully, Colomby-sur-Thaon et Anisy, en deçà des objectifs qui leur avaient été assignés, mais suffisamment loin pour faire de l’opération un succès certain.

À 0630 heures, tous les postes de radio étaient en veille d’écoute pour tenir le bataillon informé de la progression des bataillons d’assaut. A 1100 heures, l’ordre est arrivé que nous devions débarquer…
– North Nova Scotia Highlanders, Journal de guerre, 3-6 juin 1944

En une seule journée, 574 hommes de la 3e division canadienne ont été blessés et 340 ont été tués. Tel était le prix de la victoire. Certains l’ont payé plus cher : Le 5e corps d’armée américain à Omaha Beach a combattu sur la plage jusqu’à la fin de la journée. Les Alliés ont percé le mur de l’Atlantique et établi une tête de pont en France. Les Allemands sont pris au dépourvu car ils pensent que l’opération n’est qu’une diversion, le véritable débarquement étant prévu près de Calais. Leurs troupes désorganisées ne sont pas en mesure de résister à l’assaut ; mais ils ne tarderont pas à redresser la situation et, le lendemain, les divisions Panzer SS lancent de violentes contre-attaques pour repousser les Canadiens.

Lectures suggérées :

  • Terry Copp, Fields of Fire : The Canadians in Normandy, 2003
  • Terry Copp et Mike Bechthold, The Canadian Battlefields in Normandy : A Visitor’s Guide, 2004
  • T. Robert Fowler, Valour on Juno Beach : the Canadian Awards for Gallantry, D-Day June 6, 1944, 1994
  • J.L. Granatstein, Normandy 1944, 1999
  • J.L. Granatstein et Desmond Morton, Bloody Victory : Canadians and the D-Day Campaign 1944, 1994
  • Dan Hartigan, A Rising of Courage : Les parachutistes canadiens dans la libération de la Normandie, 2000
  • Bill McAndrew, Donald E. Graves, Michael Whitby, Normandie 1944 : L’été canadien, 1994
  • Reginald H. Roy, D-Day! : The Canadians and the Normandy Landings, June 1944, 2001
  • Reginald H. Roy, 1944 : Les Canadiens en Normandie, 1984
  • Mark Zuehlke, Juno Beach : Canada’s D-Day Victory, June 6 1944, 2004
  • C.P. Stacey, The victory campaign, Volume 3 of the Official History of The Canadian Army in the Second World War, 1960

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