Un interlude, dans sa définition la plus basique, est « une période, un espace ou un événement intermédiaire ou interruptif. » Techniquement parlant, un interlude est destiné à perturber, à attirer l’attention ou à fournir quelque chose d’autre sur lequel se concentrer. Les albums sont souvent jugés sur leur cohésion et leur fluidité, sur la façon dont chaque chanson complète l’ensemble de l’album dans le contexte de son tracklisting spécifique. Alors, où la décision d’inclure un interlude entre-t-elle en jeu ? Parmi les interludes célèbres, citons « Frosti » de Björk, « Yoncé » de Beyoncé, qui introduit le tube « Partition », et « Wavy » de SZA, extrait de l’album CTRL, salué par la critique. Les interludes sont loin d’être limités à un genre, et posent souvent des questions intéressantes sur la façon dont un auditeur va interagir avec le morceau de musique.

Frank Ocean’s Blonde a été la plus grande sortie de 2016, avec l’interlude « Be Yourself » aux accents maternels, reliant l’ambiance immortelle de « Pink + White » à la défiance donnant-donnant de « Solo ». La douce résignation de « Pink + White » est rapidement interrompue par : « De nombreux étudiants sont allés à l’université et sont devenus accros aux drogues, à la marijuana et à l’alcool. Écoutez. Arrêtez d’essayer d’être quelqu’un d’autre. » C’est un message vocal de 1:27 d’une mère apparemment autoritaire, qui passe soudainement de : « C’est maman. Appelle-moi. Bye » à : « Passe-moi une serviette, je suis en train de danser tout seul / J’ai pris des pilules d’acide / Forme-moi un cercle, regarde ma démarche / Je pourrais perdre ma veste et faire un solo ». Après s’être fait dire d' »être soi-même » par l’abstinence, Ocean répond naturellement en frappant des solos avec l’aide de l’acide et de la marijuana. Il pose la question de savoir comment être soi-même, comment exister vraiment par soi-même sans se sentir seul, sans l’aide de substance : « Inhale, in hell there’s heaven », chantonne-t-il, trouvant grâce au THC un sentiment de paradis dans un état de solitude autrement infernal. Sans l’avertissement sévère de la boîte vocale, les auditeurs perdraient ce sentiment de responsabilité envers soi-même qu’Ocean transmet avec tant de soin et de douceur. Ses notes douces et sucrées se sentent d’autant plus douces (et d’autant plus tristes) pour la rudesse qui les précède.

Un autre artiste R&B de la veine d’Ocean est Solange Knowles, dont le magistral A Seat at the Table comporte une série de huit interludes séparés. Le premier d’entre eux, « Interlude : The Glory is in You », relie le pressentiment « Weary » au désespoir de « Cranes in the Sky ». L’interlude ne dure que 18 secondes et remet en question la place de la paix dans notre monde. Contrairement au message vocal d’Ocean, le premier interlude de Knowles ne représente qu’une infime partie de l’ensemble, si minuscule qu’il pourrait facilement passer inaperçu lors d’une écoute occasionnelle. Mais ce petit extrait introduit un thème tangible entre la poésie des chansons qui le précèdent : « Mais tant que tu trouves la paix dans ce que tu fais, alors tu réussis, et c’est ce que les gens ne réalisent pas. Tu vois, tu dois faire des choses jusqu’à ce que tu puisses dormir la nuit. Parce que la gloire est, est en toi. » L’interlude, en décrivant le besoin de paix, donne à l’auditeur une idée de ce qu’est le « ça » de « Cranes in the Sky » : l’agression persistante et perfusée subie par les minorités, un thème qui se superpose lentement au fil de l’album. Là où l’interlude d’Ocean sert de faire-valoir à la solitude discrète de Blonde, celui de Knowles fonctionne en tandem avec sa musique pour exprimer la douleur du racisme.

On s’interroge maintenant sur le rôle des interludes instrumentaux, ceux qui ne comportent pas de messages discernables pour l’auditeur. Le titan du metalcore Underoath présente ce type d’interludes sur ses deux albums les plus acclamés. Le premier, They Were Only Chasing Safety, contient « The Blue Note », qui divise l’album en deux avec un instrumental jazzy et ambiant, qui perturbe complètement l’énergie féroce du précédent « Reinventing Your Exit » et qui tombe avec un « Three, two, one … » dans le breakdown massif de « It’s Dangerous Business Walking Out Your Front Door ». Ce que l’on retire de cet interlude en forme de piqué n’est pas seulement une transition d’une moitié à l’autre, mais il permet à un album autrement agressif de respirer. Le metalcore n’est pas nécessairement connu pour son accessibilité, et Underoath a été le pionnier de l’intégration du genre avec la sortie de cet album en 2004. Le deuxième album Define the Great Line contient  » Salarmnir « , encore une fois principalement ambiant, mais cette fois-ci avec un psaume lu en russe accompagné d’applaudissements enthousiastes qui résonnent en arrière-plan. Une fois de plus, Underoath a reconnu le bien-fondé d’ajouter de l’espace pour respirer dans un album rempli de chants durs et de breakdowns intenses, cette fois-ci en pimentant la formule avec des sentiments épiques et religieux. Pas connu pour leur subtilité, Underoath attire ses fans dans la tempête de leur musique avec un interlude séduisant qui fait immédiatement tomber le sol sous l’auditeur avec un silence avant « Returning Empty Handed ». »

Cette liste pourrait littéralement se poursuivre à l’infini, en remontant dans l’histoire et peut-être même dans la musique du Moyen Âge (ce qui nécessiterait des recherches bien plus poussées que celles dont je suis capable), mais pour l’instant, l’interlude moderne accentue la poésie de la musique et permet de souffler un peu de l’intensité ou un moment de réflexion sur des thèmes puissants. Au fur et à mesure que la musique a évolué, le poids qu’elle a pu porter s’est accru, et, bien que souvent de petite taille dans le monde d’aujourd’hui, un interlude artistique peut fournir juste ce qu’il faut de répit pour accentuer parfaitement un album et les morceaux qui l’entourent.

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