Approches méthodologiques
La génétique des CAVD a été historiquement liée à la mucoviscidose depuis 1968, lorsque Kaplan et al. ont montré que presque tous les hommes atteints de mucoviscidose présentaient une azoospermie obstructive (OA) due à une CBAVD (Kaplan et al. 1968). Le concept selon lequel les formes isolées de CBAVD et de fibrose kystique sont liées au même gène a été confirmé peu après l’identification du gène CFTR en 1989 (Dumur et al. 1990 ; Anguiano et al. 1992). Cependant, on a rapidement constaté que 20 à 40 % des cas de CBAVD n’étaient pas liés à des mutations du gène CFTR, suggérant la possibilité d’une hétérogénéité génétique (Culard et al. 1994 ; Chillón et al. 1995). Néanmoins, pendant 25 ans, la génétique des CBAVD est restée limitée au CFTR. Le fait est que l’étude du déterminisme génétique de l’infertilité humaine a longtemps été limitée par des contraintes méthodologiques spécifiques, les approches familiales traditionnelles par analyse de liaison étant souvent inapplicables, en particulier dans le contexte de l’infertilité masculine en raison de barrières psychosociales et culturelles. Par conséquent, jusqu’à récemment, les marqueurs génétiques couramment utilisés en pratique clinique pour explorer une azoospermie non obstructive (ANO) se limitaient aux anomalies chromosomiques telles que le syndrome de Klinefelter et les microdélétions du chromosome Y (Krausz 2011). Cependant, au cours de la dernière décennie, l’avènement du séquençage de nouvelle génération (NGS) a permis le développement d’approches puissantes basées sur le séquençage de l’exome entier (WES) ou du génome entier (WGS) et l’analyse du transcriptome entier. Une vingtaine de gènes impliqués dans les formes monogéniques de NOA ont été récemment identifiés (revue par Ghieh et al. 2019). Pour presque tous ces gènes, des mutations causales, toutes récessives, ont été identifiées dans des familles consanguines (Yang et al. 2018). En revanche, à notre connaissance, les cas familiaux exceptionnels d’OA n’ont jamais été observés dans un contexte de consanguinité, une limite qui explique en partie pourquoi, malgré les facilités des nouvelles approches génomiques, le nombre de nouveaux gènes identifiés dans les CAVD a été beaucoup plus faible. Néanmoins, ces dernières années, deux grandes approches complémentaires ont contribué à l’identification de gènes candidats : celles basées sur l’étude des génomes individuels et celles basées sur l’analyse du transcriptome des cellules du canal séminal, principalement de l’épididyme. Les premières ont permis d’établir des corrélations pertinentes entre l’iCBAVD et les mutations ponctuelles du gène ADGRG2 identifiées par une analyse WES (Patat et al. 2016 ; Khan et al. 2018), ainsi que les variations du nombre de copies des gènes PANK2 et SLC9A3 identifiées par une analyse d’hybridation génomique comparative basée sur un réseau (array-CGH) (Lee et al. 2009). Les approches transcriptomiques utilisant les puces à ADNc ou le séquençage de l’ARN ont permis de cibler de nombreux gènes candidats fonctionnels, en particulier les gènes dont l’expression est limitée aux cellules du canal séminal ou dont le profil d’expression est spécifique à certaines parties du canal séminal (Browne et al. 2016). Plusieurs de ces gènes candidats, comme ADGRG2 et SLC9A3, ont été validés chez des souris knockout et leur physiologie a été explorée dans ce modèle animal (Davies et al. 2004 ; Wang et al. 2017). Récemment, une approche multi-omique intégrative combinant le WGS, l’analyse du méthylome de l’ADN entier et le séquençage de l’ARN a permis d’identifier deux nouveaux gènes candidats, SCNN1B et CA12, chez un individu atteint de iCBAVD (Shen et al. 2019). Cependant, malgré ces avancées, il n’existe toujours pas de diagnostic génétique pour au moins un quart des CAVD, dont la plupart sont des CUAVD. Jusqu’à présent, l’hypothèse selon laquelle ces formes inexpliquées de CAVD ne sont pas le résultat de simples variations génétiques a été peu explorée. Il est prévisible qu’à l’avenir, les nouvelles méthodes d’étude de l’épigénome et la puissance des outils bioinformatiques permettront de préciser le rôle de la régulation épigénomique dans la survenue de ces CAVD isolés. Toutefois, cette approche sera d’autant plus fructueuse qu’elle sera appliquée à des cohortes de taille adéquate composées de patients atteints de CAVD parfaitement phénotypés et d’origine ethnique homogène.
Gènes impliqués dans les CAVD
Alors que le déterminisme génétique des NOA est caractérisé par une hétérogénéité génétique importante avec plus de 30 gènes identifiés (SPGF ), celui des OA se limite à très peu de gènes (Ghieh et al. 2019). Il est donc établi qu’environ trois quarts des cas caucasiens de CAVD sont liés à des anomalies dans deux gènes : CFTR pour la majorité des cas et ADGRG2 pour une minorité (Patat et al. 2016). D’autres gènes comme SLC9A3 pourraient être impliqués dans certains iCBAVD mais aussi des facteurs épigénétiques ou environnementaux avec des rôles physiopathologiques très différents.
CFTR (MIM#602421) a été identifié par clonage positionnel en 1989 par Riordan et al. (1989) mettant fin à plusieurs années de recherche compétitive pour découvrir le seul gène responsable de la CF. Environ la moitié des patients atteints de FK d’origine nord-européenne sont homozygotes pour une délétion de trois paires de bases (NM_000493.3:c.1521_1523del), entraînant la perte de la phénylalanine 508 (NP_000483.3:p.Phe508del, nom d’héritage : F508del). En moyenne, 1 individu sur 40 dans la population caucasienne est hétérozygote pour la mutation p.Phe508del, ce qui en fait l’une des mutations pathogènes humaines les plus fréquentes (Kerem et al. 1989). CFTR, qui couvre 250 kb sur le bras long du chromosome 7 en 7q31.2, contient 27 exons codants et produit plusieurs transcrits, dont un seul, un ARNm de 6,1 kb, code pour une protéine fonctionnelle de 1 480 acides aminés appelée CF transmembrane conductance regulator (CFTR). CFTR est une protéine transmembranaire glycosylée exprimée à la membrane apicale de nombreuses cellules épithéliales où elle fonctionne principalement comme un canal chlorure régulé par l’AMPc. De nombreuses études ont montré que CFTR est impliqué dans la régulation de plusieurs transporteurs d’ions, notamment les canaux sodiques (ENacs), les échangeurs de chlorure/bicarbonate, les échangeurs de protons (Na+/H+) et les canaux à eau (aquaporines). Par conséquent, les processus physiologiques dépendants de CFTR jouent un rôle crucial dans le maintien de l’homéostasie des ions, du pH et de l’eau dans les fluides épithéliaux sécrétoires (Choi et al. 2001). En trois décennies, plus de 2000 mutations ont été signalées dans CFTR (https://www.genet.sickkids.on.ca/), mais moins d’un quart sont classées comme pathogènes (https://www.cftr2.org/) sur la base de corrélations avec la FK ou d’autres affections dont le pronostic est souvent moins sévère, limitées à un seul organe comme les bronches (bronchectasie disséminée, MIM#211400), le pancréas (pancréatite chronique MIM#167800) ou les canaux déférents (absence bilatérale congénitale des canaux déférents, MIM#277180). Ces affections qui ne répondent pas à tous les critères de la mucoviscidose mais qui sont liées à un dysfonctionnement de CFTR ont été regroupées sous le terme générique de CFTR-RD (Bombieri et al. 2011). Toutes les régions de CFTR peuvent être affectées par des mutations pathogènes, y compris les régions promotrices et les régions introniques profondes (Feng et al. 2019 ; Bergougnoux et al. 2019). En fonction de leurs effets sur la biogenèse et les fonctions de CFTR, les allèles pathogènes sont classés en deux catégories principales : Les variants causant la FK (également appelés » sévères « ) qui, à l’état homozygote, sont toujours associés à la FK et les variants non causant la FK qui n’ont jamais été observés chez les patients atteints de FK et qui sont, par conséquent, appelés à tort des allèles » légers « . Une minorité d’allèles causant la FK a été observée dans des formes cliniques variables de mucoviscidose plus ou moins sévères dans lesquelles la fonction pancréatique est souvent préservée. La pathogénicité de ces allèles appelés VCC (pour variants of varying clinical consequence) pourrait dépendre de facteurs génétiques rarement connus tels que l’association en cis avec des allèles complexes ou de facteurs non génétiques inconnus. Contrairement aux variants responsables de la FK, les variants non responsables de la FK entraînent un dysfonctionnement incomplet de la CFTR. Selon l’organe, si l’activité résiduelle de la CFTR est trop faible pour maintenir l’homéostasie, une dysfonction CFTR-RD peut apparaître. Ainsi, les sujets atteints de CFTR-RD sont généralement porteurs d’un variant non causal de la CFTR, le plus souvent combiné en trans avec un variant causal de la CFTR ou, plus rarement, avec un autre variant non causal de la CFTR. Ces allèles sont parfois appelés allèles causant la CFTR-RD.
ADGRG2 (MIM#300372) situé dans Xp22.13 est composé de 29 exons qui produisent environ dix transcrits, dont le plus long a un cadre de lecture ouvert de 3,1 kb (couvre les exons 3-29) qui codent pour le récepteur couplé à la protéine G d’adhésion G2 (ADGRG2). Son ADNc a été initialement cloné en 1997 par Osterhoff et al. (1997) après un criblage différentiel d’une bibliothèque d’ADNc épididymaire humain dans laquelle ce clone, nommé HE6 (pour human epididymis-specific protein 6) était largement représenté. Avec une séquence déduite de 1017 acides aminés et ses sept domaines transmembranaires hautement préservés, la protéine HE6 appartient à la superfamille des récepteurs couplés aux protéines G (GPCR) dans laquelle elle était initialement appelée GPR64. La structure et la propriété autocatalytique de la partie extracellulaire de HE6/GPCR64 ont conduit à sa classification finale dans la sous-famille G des GPCR d’adhésion (aGPCR) (Hamann et al. 2015). ADGRG2 est une protéine hautement glycosylée presque exclusivement et fortement exprimée dans la partie proximale des canaux séminaux mâles (https://proteinatlas.org), précisément dans l’épithélium des canalicules efférents et la partie initiale du canal épididymaire. L’immunomarquage de l’ADGRG2 est particulièrement fort dans les stéréocils des cellules épididymaires principales et dans les microvillosités des cellules non ciliées des ductules efférents où 90% du fluide sécrété par le testicule est réabsorbé (Kirchhoff et al. 2008 ; Patat et al. 2016). L’implication d’ADGRG2 dans ce processus a été initialement suggérée par le knockout HE6/GPR64 (disruption ciblée) chez la souris, qui, chez les mâles hémizygotes, entraîne une accumulation de liquide dans le testicule et une stase des spermatozoïdes dans les ductules efférents conduisant à un phénotype d’infertilité obstructive (Davies et al. 2004). L’ADGRG2 est un récepteur orphelin dont les ligands naturels sont inconnus et les voies de signalisation partiellement élucidées. Comme la plupart des aGPCRs, l’ADGRG2 mature est un hétérodimère résultant du clivage d’un domaine hautement préservé contenant le site de protéolyse du GPCR (GPS) dans un fragment N-terminal extracellulaire (NTF) attaché de manière non covalente à un grand fragment C-terminal (CTF) ancré dans la membrane cellulaire (Obermann et al. 2003). Comment ces deux sous-unités coopèrent sous l’action d’agonistes endogènes pour médier les signaux et ont-elles des fonctions spécifiques distinctes sont des questions qui restent sans réponse. Cependant, il a été démontré que l’extrémité extracellulaire du CTF résultant du clivage porte une séquence Stachel ayant des propriétés agonistiques (Demberg et al. 2015). De plus, des données expérimentales récentes obtenues dans des modèles in vitro et in vivo montrent que via une signalisation médiée par les protéines Gs et Gq, ADGRG2, est capable de moduler respectivement l’AMPc et l’activité PKC (Demberg et al. 2017 ; Balenga et al. 2016 ; Zhang et al. 2018).
Mutations causales dans les CAVD, type et épidémiologie
Mutations CFTR
Moins d’un an après l’identification du gène CFTR (Riordan et al. 1989), Dumur et al. ont observé une fréquence anormalement élevée de la mutation p.Phe508del dans une petite série d’hommes infertiles atteints d’iCBAVD (Dumur et al. 1990). Cette découverte, qui confortait l’hypothèse selon laquelle l’iCBAVD pourrait être une forme monosymptomatique de la mucoviscidose, a eu une conséquence médicale majeure. Par la suite, tous les hommes atteints d’iCBAVD qui se soumettent à des techniques de procréation médicalement assistée (PMA) par prélèvement chirurgical de spermatozoïdes et injection intracytoplasmique de spermatozoïdes (ICSI) devaient être considérés comme présentant un risque plus élevé d’avoir un enfant atteint de mucoviscidose (Anguiano et al. 1992). Par la suite, Chillon et al. ont confirmé que, contrairement aux patients atteints de mucoviscidose qui ne sont porteurs que de mutations responsables d’une perte complète de la fonction du canal chlorure CFTR, les patients iCBAVD sont porteurs d’au moins une copie de CFTR avec une mutation dite « légère », car elle est corrélée à une activité CFTR réduite ou partielle de 3 à 8 % (Chillón et al. 1995). Cette situation est bien illustrée par une variante d’un polymorphisme polythymidine (Tn) dans l’intron 9 (NM_000493.3:c.1210-12T), l’allèle dit IVS8-5T (allèle 5T) dont la fréquence est quatre à cinq fois plus élevée chez les sujets iCBAVD (revue par De Sousa et al. 2018). Cet allèle 5T a un effet délétère sur l’épissage qui favorise le saut de l’exon 10 conduisant à une réduction significative de l’ARNm CFTR normal (Chu et al. 1993). Jusqu’à un tiers des sujets iCBAVD d’origine européenne sont des hétérozygotes composés portant une mutation causant la CF, la plus fréquente étant F508del, et l’allèle 5 T en trans (Chillón et al. 1995). Cependant, comme ce génotype avait été observé chez des pères fertiles ayant eu un enfant atteint de FK, Cuppens et al. ont montré que la pénétrance de cet allèle 5 T par rapport au saut de l’exon 10 dépendait principalement de la taille d’une séquence polyTG polymorphe (NM_000493.3:c.1210-34TG) en amont de la séquence polyT (Cuppens et al. 1998). Ainsi, alors que la combinaison polyvariante TG(11)5T (NM_000493.3:c.1210-34TGT) est retrouvée très majoritairement chez les sujets sains, c’est la combinaison TG(12)5T qui est le plus souvent retrouvée chez les sujets iCBAVD, tandis que l’allèle TG(13)5T, beaucoup plus rare, est toujours identifié chez les sujets iCBAVD (Groman et al. 2004). Au cours des 20 dernières années, de nombreuses études ont permis de caractériser le spectre des mutations CFTR chez les sujets CBAVD en précisant leur fréquence selon l’ethnie et l’origine géographique (revue par Yu et al. 2012). Alors que les mêmes types de mutations sévères, notamment les grands réarrangements de CFTR (Taulan et al. 2007), sont retrouvés chez les sujets CF-CBAVD et iCBAVD, le spectre mutationnel de CFTR chez les iCBAVD est radicalement différent dans la mesure où il existe de nombreuses mutations non responsables de CFTR, dont la plupart peuvent être associées à d’autres phénotypes CFTR-RD tels que les pancréatopathies, les bronchectasies disséminées et les troubles de la cavité nasale (Bombieri et al. 2011). Ces mutations » légères » comprennent principalement des variants introniques qui affectent l’épissage, dont le plus fréquent est l’allèle 5T, et de nombreuses mutations faux-sens qui affectent le fonctionnement du canal chlorure, la plus fréquente chez les Caucasiens étant la mutation p.Arg117His (R117H) (Casals et al. 2000 ; Claustres et al. 2000). La plupart de ces mutations non responsables de la FK ne sont pas détectées par les panels de routine conçus pour la population FK classique, qui ciblent principalement les mutations responsables de la FK les plus fréquentes (nombreux kits commerciaux disponibles). C’est pourquoi, pour le diagnostic moléculaire des CBAVD et autres MRC CFTR, il est recommandé de choisir un test CFTR incluant les deux principaux variants » légers « , R117H, et l’allèle 5T en première intention (voir ci-dessous le chapitre » Implications pour la pratique clinique… « ). Si cela n’est pas concluant, une caractérisation complète de la CFTR doit être effectuée, comprenant au moins le séquençage de tous les exons et des régions introniques adjacentes ainsi que la recherche de grands réarrangements. Les méthodes de diagnostic moléculaire basées sur le séquençage de nouvelle génération (NGS) sont de plus en plus utilisées pour la détection non seulement de mutations ponctuelles mais aussi de grandes délétions ou duplications. Ces nouvelles méthodes d’exploration génique applicables à un panel permettent d’éviter les laborieuses techniques de séquençage Sanger et de PCR semi-quantitative (MLPA, QMPSF, qPCR, etc.) réalisées exon par exon.
Les fréquences des mutations de CFTR chez les patients CAVD diffèrent d’une étude à l’autre, probablement en raison d’un biais de recrutement, de la taille de la cohorte et de l’hétérogénéité des méthodes de génotypage, de nombreux sujets ayant eu une analyse partielle de CFTR. Cependant, il est clair que la fréquence de certains allèles est très différente chez les patients caucasiens atteints de MCV et ceux provenant de pays non caucasiens dans lesquels la mucoviscidose est beaucoup plus rare. C’est notamment le cas de la mutation F508del, qui est exceptionnellement détectée chez les patients iCBAVD chinois, alors que jusqu’à un tiers des patients iCBAVD d’Europe du Nord en sont porteurs. Par ailleurs, les patients iCBAVD d’origine asiatique sont plus souvent porteurs de l’allèle 5T que les Caucasiens (tableau 1), alors que la fréquence de cet allèle dans la population générale varie peu dans le monde (5%). Au total, la méta-analyse des données publiées par Yu et al (2012) indique qu’environ 80% des patients caucasiens iCBAVD sont porteurs d’au moins une mutation de CFTR. L’étude la plus exhaustive possible laisse 6% des sujets sans aucune mutation détectée (Ratbi et al. 2007). En considérant que certains de ces patients peuvent être de simples hétérozygotes (3% dans la population caucasienne) et que d’autres sont porteurs de variants de signification inconnue qui sont peut-être neutres (ne causant pas de CF ou de CFTR-RD), on peut supposer que la CFTR serait impliquée dans 75-80% des cas d’iCBAVD. Ainsi, pour environ un quart des patients iCBAVD, la responsabilité de CFTR ne peut être définitivement prouvée, alors que pour les patients CF, les deux allèles mutés peuvent être caractérisés dans 99% des cas (Tableau 1). Pour les CUAVD, 30 à 50 % des sujets sont porteurs d’au moins une mutation de CFTR après analyse complète des gènes, ce qui signifie que plus de la moitié des CUAVD ne sont pas liés à CFTR (Schlegel et al. 1996 ; Casals et al. 2000 ; Cai et al. 2019 ; Mieusset et al. 2020). La présence d’une anomalie rénale est très significativement plus fréquente chez les patients atteints de CAVD chez lesquels une seule ou aucune anomalie de CFTR a été détectée (Augarten et al. 1994 ; Schwarzer & Schwarz 2012). On peut donc supposer que la différence de taux de non-détection des mutations de CFTR entre les CAVD (20%) et les CUAVD (50%) est au moins partiellement liée à la différence de fréquence des agénésies rénales unilatérales observées dans les deux groupes, 5% vs 25%, respectivement (Weiske et al. 2000 ; McCallum et al. 2001 ; Kolettis et Sandlow 2002 ; Yang et al. 2015).
Mutations ADGRG2
En 2016, après avoir soigneusement sélectionné, à partir d’une grande série rétrospective de 379 hommes iCBAVD d’ascendance européenne, une cohorte de 26 individus n’ayant ni mutation CFTR ni anomalie rénale associée, Patat et al. ont identifié trois mutations tronquantes hémizygotes dans le gène ADGRG2 lié au chromosome X (MIM#300572.0001_3) chez quatre sujets (Patat et al. 2016). L’établissement du rôle causal de ces mutations dans le phénotype iCBAVD s’est appuyé sur un ensemble d’arguments : (i) les souris knockout (KO) ADGRG2 mâles développent une arthrose sans autre anomalie significative (Davies et al. 2004), (ii) l’examen histologique d’une biopsie épididymaire d’un des quatre individus a montré une absence d’expression d’ADGRG2 dans l’épithélium des ductules efférents qui étaient anormalement dilatés, (iii) une des mutations tronquées a été identifiée chez deux individus infertiles liés par un lien maternel (un neveu et un oncle maternel). Depuis, trois publications (Yang et al. 2017 ; Yuan et al. 2019 ; Khan et al. 2018) ont rapporté l’identification de cinq nouvelles variations rares d’ADGRG2 chez six patients iCBAVD d’origine asiatique sans mutation CFTR pathogène : deux mutations non-sens classées comme pathogènes, dont une chez deux frères infertiles d’origine pakistanaise (Khan et al. 2018) et trois mutations missens, dont une affectant la région GPS qui a été classée comme pathogène (Yang et al. 2017). Ces six patients ne présentaient aucune anomalie rénale. Récemment, Pagin et al. ont également rapporté six nouvelles mutations tronquantes d’ADGRG2 dans une cohorte de 53 patients français atteints de CAVD portant 0 ou seulement 1 allèle défectueux de CFTR. Dans cette étude, les auteurs n’ont pas réussi à obtenir des preuves convaincantes pour soutenir l’hypothèse d’une hérédité digénique impliquant ADGRG2 et CFTR. Ils ont conclu que l’inactivation d’ADGRG2 est responsable d’environ 20 % des CAVD non liés à un dysfonctionnement du CFTR. En outre, ils n’ont trouvé aucun cas de rein solitaire parmi les 8 patients mutés ADGRG2 de leur cohorte (Pagin et al. 2019). De manière intéressante, aucune mutation d’ADGRG2 ou de CFTR n’a été identifiée par Patat et al. dans une cohorte de 28 patients iCBAVD avec URA (données personnelles).
Autres mutations
À notre connaissance, outre CFTR et ADGRG2, les seules autres mutations qui ont soulevé la question d’une possible corrélation avec les iCBAVD sont des CNVs impliquant les gènes PANK2 et SLC9A3. À ce jour, ces CNV n’ont été décrits que chez des patients atteints d’iCBAVD originaires de Taïwan. Comme dans d’autres populations asiatiques, la CF et la CFTR-RD sont rarement observées à Taïwan et, à l’exception de l’allèle IVS8-5T dont la fréquence est significativement augmentée chez les hommes iCBAVD taïwanais infertiles, très peu d’allèles CFTR pathogènes ont été caractérisés (Chiang et al. 2009). En étudiant les CNV à l’aide de l’array-CGH et de la PCR quantitative en temps réel dans une petite cohorte d’individus iCBAVD taïwanais, l’équipe de HS Chiang a identifié chez un seul individu la perte homozygote du gène de la pantothénate kinase 2 (PANK2) (Lee et al. 2009) et chez 11 des 29 sujets, la perte d’une copie du gène de l’isoforme 3 de la famille 9 des transporteurs de solutés (SLC9A3) (Wu et al. 2018 ; revue par Chiang et al. 2019). PANK2 a été sélectionné comme un gène potentiel lié à la reproduction, car la souris KO présentait une azoospermie (Kuo et al. 2005). Cependant, il s’agissait d’un NOA et cette condition n’est pas observée chez les humains affectés par la neurodégénérescence associée à la pantothénate kinase (MIM#234200). À ce jour, aucun autre cas de CBAVD lié à une délétion de PANK2 n’a été signalé. Par conséquent, la corrélation reste incertaine et l’observation anecdotique. En revanche, les données expérimentales obtenues par la même équipe sur l’implication de SLC9A3 dans le phénotype CBAVD sont substantielles et plus convaincantes. En effet, ces auteurs ont montré que la souris mâle adulte SLC9A3-/- développe une azoospermie obstructive due à des anomalies structurelles et fonctionnelles des canalicules efférents avec une atrophie progressive à long terme des canaux déférents et des vésicules séminales (Wu et al. 2019 ; Chiang et al. 2019). De façon remarquable, les auteurs ont observé une diminution drastique de CFTR dans l’épididyme et les canaux déférents chez ces souris SLC9A3-KO, suggérant des rôles interdépendants des deux gènes dans le déterminisme de l’iCBAVD (Wang et al. 2017). Cependant, malgré ces observations très éclairantes sur le rôle de SLC9A3 dans la physiologie de l’appareil reproducteur des souris mâles, la relation entre la perte d’une copie de ce gène et l’iCBAVD chez l’homme est encore mal comprise. Si l’on considère que les mutations récessives de SLC9A3 provoquent une forme grave de diarrhée congénitale par sécrétion de sodium (congenital secretory sodium diarrhea, MIM#616868) et qu’il a été démontré que les mutations de perte de fonction, y compris une délétion complète de SLC9A3, sont transmises par des pères hétérozygotes (Janecke et al. 2015), l’iCBAVD des patients taïwanais ne peut pas être expliquée par la seule haplo-insuffisance de SLC9A3. De plus, Wu et al. ont rapporté dans leur étude que parmi les 29 patients taïwanais atteints d’iCBAVD, 6 (20,7 %) se sont révélés homozygotes ou hétérozygotes composés pour les allèles TG(12)5T ou TG(13)5T de CFTR, un statut génotypique qui pourrait être suffisant à lui seul pour causer l’iCBAVD. Sur ces six personnes, deux n’avaient qu’une seule copie de SLC9A3. Dans cette même cohorte, 12 autres patients iCBAVD étaient hétérozygotes pour l’allèle TG(12)5T ou TG(13)5T, dont la moitié présentait également une délétion de SLC9A3 (Wu et al. 2019). La possibilité d’un digénisme impliquant des variations de CFTR telles que l’allèle 5T est encore hautement spéculative. Il convient de noter qu’aucun de ces 29 patients taïwanais atteints de CBAVD ne présentait une absence rénale unilatérale.